mercoledì 8 aprile 2009

Six mille parties civiles à Turin dans le procès de l’amiante

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International - Article paru le 8 avril 2009

enquête
Italie . Les victimes françaises étaient en nombre lundi, devant le palais de justice de la ville, où pourrait se dérouler cet automne le procès pénal de deux des dirigeants de la multinationale Eternit.

Turin (Italie), envoyé spécial.

Il a soixante-douze ans, il sait qu’il va bientôt mourir. Mais pas de vieillesse. Giovanni Balice a taillé des plaques de fibrociment pendant quinze ans à l’usine Eternit de Casale Monferrato, près de Turin. Il est l’une de ces 2 191 victimes de l’amiante encore en vie, dans cette commune de 30 000 habitants, où 2 000 hommes et femmes, jeunes et plus âgés, ont été happés par la « mort blanche » depuis la fermeture de l’usine en 1986. Alors, lundi dernier, tandis que se déroule à huis clos la première des audiences préliminaires à un éventuel procès de ses anciens patrons (lire ci-dessous), Giovanni s’empare du micro devant le palais de justice, où plusieurs centaines d’autres victimes italiennes, belges, suisses et françaises se sont rassemblées : « Je ne suis pas ici pour la vengeance, mais pour la justice. Et la justice, ce serait que les patrons aillent en prison et qu’on nous verse de l’argent, pas demain mais tout de suite, parce que moi, mes enfants et mes petits-enfants nous serons bientôt morts ! » Face à lui, les « veuves de Dunkerque », qui vont prochainement reprendre leur marche autour du tribunal de la ville, tiennent en silence un grand calicot sur lequel est inscrit : « Nos empoisonneurs doivent être jugés sans délai. »
Comme l’explique en substance Pierre Pluta, président de l’association régionale (Nord-Pas-de-Calais) des victimes de l’amiante (ARDEVA) et ancien ouvrier des chantiers navals, « où l’amiante dans les ateliers tombait comme de la neige », l’indemnisation par des tribunaux civils de personnes touchées par des pathologies dues à l’amiante (cancers, asbestoses, mésothéliome de la plèvre…) fonctionne assez bien en France. Mais pour ce qui est des procès devant un tribunal pénal, « ça traîne, et même ça bloque ».
Il semble qu’en Italie ce soit l’inverse. Et notamment à Turin, comme en témoigne le procès qui se déroule actuellement, mettant en accusation des patrons de l’usine sidérurgique locale Krupp-Thyssen. C’est pourquoi Pierre Pluta et une quarantaine de membres de l’ARDEVA n’ont pas hésité à faire le voyage vers l’Italie en autocar depuis Dunkerque (1). « Pas pour faire du tourisme », plaisante non loin de là Jean-François Borde, qui affiche avec une quarantaine de collègues la flamboyante banderole du Comité Amiante Prévenir et Réparer (CAPER) de Bourgogne : « Chez nous, il y a 98 décès reconnus en vingt ans et 350 dossiers de malades déposés à l’association. La plupart sont d’anciens salariés de l’usine de fibrociment Eternit, à Vitry-en-Charolais, mais certains ont travaillé à EDF, à la SNCF, à Saint-Gobain, dans les forges de Gueugnon ou à l’ex-Creusot Loire… » développe-t-il, avant d’ajouter : « C’est d’ailleurs dans notre région que pour la première fois, en 1997, un tribunal, celui des affaires de la Sécurité sociale de Mâcon, a fait état de la faute inexcusable de l’employeur. Depuis, malgré nos plaintes, rien ne se passe au niveau de la justice pénale. Nous sommes donc venus à Turin pour soutenir les gens de Casale Monferrato, échanger avec eux nos expériences, mais aussi voir comment fonctionne la justice italienne par rapport à ce drame de l’amiante. »
Pour l’heure, le procès turinois, qui pourrait être l’un des plus grands procès criminels de l’histoire, opposant quelque six mille parties civiles à deux « amianto-killers », grands patrons de la multinationale Eternit ainsi surnommés par la presse italienne, en est au stade préliminaire. Sur le banc des accusés, le discret baron belge Jean-Louis Marie Ghislain de Cartier de Marchienne, quatre-vingt-sept ans, et Stephan Schmidheiny, soixante et un ans, multimilliardaire suisse vivant en Amérique centrale qui se vante d’avoir été conseiller de Bill Clinton, et d’avoir donné des conférences devant le pape et à l’ONU. C’est surtout lui que le procureur général de Turin, Raffaele Guariniello, qui n’a pas pour l’instant mis en cause le troisième patron d’Eternit - le Français Joseph Cuvelier junior -, a dans le collimateur. L’information judiciaire a duré cinq ans. Elle a fait apparaître que Stephan Schmidheiny avait la haute main sur les usines de Casale et Cavagnolo dans le Piémont, mais aussi de Rubiera, près de Reggio, en Émilie-Romagne, et de Bagnoli, dans la périphérie de Naples, en Campanie. En conclusion de son enquête, en partie révélée par l’association des travailleurs de la chimie fine (ALCA-CUB), le procureur de Turin souligne les « circonstances aggravantes » qui ont prévalu, surtout autour de l’usine piémontaise : « Le désastre est survenu quand l’amiante répandu dans les lieux de travail a envahi sur une vaste échelle et pendant plusieurs décennies (l’usine a démarré en 1906 - NDLR) l’atmosphère environnante, mettant en danger et causant des dommages à la vie et à l’intégrité physique d’un nombre indéterminé de travailleurs, et causant le décès d’un nombre élevé de travailleurs et de citadins… »
En termes moins choisis, Romana Blasotti, présidente de l’association des familles de victimes à Casale Monferrato, qui elle-même a vu partir son mari, une fille, une soeur et un cousin qui n’étaient même pas salariés d’Eternit, a témoigné devant le palais de justice du drame vécu autour de « l’usine de la mort ». Les femmes, dont beaucoup sont décédées aujourd’hui, secouaient dans les jardins où jouaient les gosses cette « soie blanche de salamandre », indestructible, même par le feu, qui recouvrait les bleus de travail de leurs maris. Elle a raconté comment, enterrement après enterrement, celui d’un voisin employé chez Eternit ou de la boulangère de son quartier, elle s’entendait dire que l’amiante, c’était moins dangereux que de se mettre à fumer. Vingt après la fermeture de l’usine, on recense une cinquantaine de cas de maladies dues à l’amiante chaque année à Casale Monferrato. Les médecins locaux estiment à 900 le nombre de décès qui pourraient survenir dans les dix ans à venir, avec un pic du nombre de morts annuel en 2020.
Des chiffres qui révoltent Massimo Pozzi, le secrétaire régional (Piémont) de la Confédération générale du travail (CGIL), laquelle conserve précieusement des photos de l’usine Eternit aujourd’hui détruite. Les images montrent « qu’aucune précaution n’était prise par la direction alors que les dangers de l’amiante étaient connus depuis très longtemps », assure le syndicaliste. « Ce qui se passe ici, au palais de justice, c’est l’aboutissement de trente années de lutte, qui doit déboucher sur un procès pénal », ajoute-t-il, en se félicitant de l’ampleur de la « mobilisation européenne » convergeant vers Turin. Ce maxi-procès aura-t-il vraiment lieu ? Christian Caribene, ancien mécanicien d’entretien chez Eternit à Albi et qui souffre aujourd’hui de plaques pleurales, veut y croire : « Si ça bouge en Italie, espère-t-il, ça ne pourra que bouger encore plus en France. »
(1) On notait aussi la présence de délégations du CAPER Nord-Isère (Eternit à Roussillon), de l’ADDEVA Loire-Atlantique (Everit Pont-à-Mousson et chantiers navals), de l’ADDEVA Gard rhodanien (nucléaire, Marcoule),
de l’ARDEVA Midi-Pyrénées (Eternit Albi), du CAPER Ardèche (Basaltine SA, Cimenteries Lafarge), de Ban Asbestos France, des Mutuelles de France,
de la CGT (secteur santé au travail).
Philippe Jérôme

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